TRIGGER WARNING

— rien à signaler —

Décloisonner les frontières ou le combat du droit à l’éducation pour toutes

Blanc autour, titre de prime abord cryptique pour un joli tome écrit et mis en dessins et Stéphane Fert aux éditions Dargaud (2020). Tout en couleurs et formes rondes, douces et faussement enfantines, les premières pages plantent le décor d’une époque historique mouvementée, à la suite de l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis en 1865.

Sarah, jeune fille noire à la curiosité insatiable finit par être intégrée à l’école pour jeune fille de Mme Crandall. Si la jeune institutrice se félicite de l’arrivée de la nouvelle venue, la petite ville de Canterbury est rapidement horrifiée par cette initiative malvenue. Le pays est en effet encore secoué par les agissements de Nat Turner, esclave instruit ayant inspiré un mouvement de révolte sanglant en Virginie, à peine un an plus tôt, en 1831. Le mépris se mêle désormais à la peur d’une population noire instruite, et tout sera fait pour décourager le projet de Mme Crandall, qui n’en aura cure et fera de son établissement un lieu privilégié pour l’instruction des jeunes filles de couleur de bonne famille.

La lecture s’en trouve croisée entre le regard acéré de Sarah, bientôt rejointe par la pimpante Eliza, la jeune Maggie… et le personnage davantage énigmatique qu’est Sauvage, jeune orphelin noir. Sans attaches, ce dernier partage tout de même un lien avec l’école Crandall et ses occupantes, tout en ne cessant de citer à l’envi les écrits de Nat Turner, qui terrifient tant les honnêtes gens de Canterbury.

Le décor est planté, le cadre champêtre et bucolique de la petite école en marge de la ville de Canterbury, dans le Connecticut, connaîtra pourtant une des grandes avancées historiques de la lutte des droits universels aux Etats-Unis. Mais pour en arriver là, Mme Crandall et ses élèves verront leurs convictions profondément ébranlées par les agissements, la haine et l’inventivité sans limite au service de cette dernière de la part des locaux. Nos héro.ïne.s (j’inclus volontairement le jeune Sauvage, ainsi que le père de Mme Crandall ici) n’en démordent pas moins, et feront preuve d’un courage qu’on ne pourra qu’admirer, devant la bêtise crasse de leurs contemporains.

Le croisement des luttes féministes et raciales

Mais Blanc autour, c’est aussi la découverte de beaux moments de complicité, entre les pensionnaires surtout et ce parfois malgré leurs avis divergeants sur la situation qu’elles subissent. On y amène également la question de la sororité, mais aussi de la puissance créatrice des femmes tant réprimée que crainte (on peut faire ici un parallèle avec la peur véhiculée par les agissements passés de Nat Turner).

Le récit se lit de manière fluide, les dessins, de prime abord simples et enfantins, laissent rapidement entrevoir une palette émotionnelle riche et variée, de même que les caractères bien trempés des acteur.ice.s dont on s’attache progressivement au fil du récit. On y voit des jeunes filles curieuses, avides de savoir et truculentes, en même temps que l’exploit de montrer sur les visages d’en face des traits tels que la fermeture d’esprit, l’hostilité et la crainte déguisée derrière un mépris omniprésent. Ici, ce n’est pas uniquement une lutte féministe, mais aussi de droits à la reconnaissance et à l’éducation, également pour les personnes noires.  L’entier de l’école Crandall, devant les agissements de leurs détracteurs, saura en outre faire preuve de dignité devant les agissements des locaux, même là où le plus sage et patient des moines bouddhistes aurait lâché l’affaire.

Sans spoiler la fin de l’ouvrage, je peux dire tout de même sans risques que la plume triomphe bel et bien de l’épée. On referme ce joli récit sans grande surprise certes. Mais avec ce constat qui reste palpable tout au long de la lecture, ne serait-ce que par les dialogues, simples mais qui font à chaque fois mouche, bien souvent avec la sincérité encore toute enfantine de nos protagonistes. A mettre entre toutes les mains, sans distinction d’âge et de genre.

Données techniques

  • Auteur: Wilfrid Lupano
  • Illustrateur: Stéphane Fert
  • Editions: Rackham
  • Dates de publication: novembre 2020

Les points forts

  • Inspiré de faits historiques et réels 
  • Solidarité et sororité féminine 
  • Des femmes qui n’ont pas besoin d’hommes, et qui le font savoir 
  • Un trait de crayon doux, coloré et expressif (particulièrement pour les expressions) 
  • Une belle édition de qualité (papier également) 

Les points faibles

  • Parfois quelques longueurs au niveau du scénario (qui se justifient néanmoins en bonne partie)
  • Une fin qui laisse quelque peu sur sa faim