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— rien à signaler —

Les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit…

Une créature hybride

Ovni de la BD, Monstres est le fruit de la collaboration de deux femmes de talent, à savoir Marjorie Liu (scénariste et romancière) et Sana Takeda, illustratrice japonaise qui est ici aux commandes pour la patte graphique. Édité chez Delcourt (connus surtout pour leurs éditions de mangas) dès 2017, l’œil est d’emblée attiré par les belles couvertures qui ne laissent pas indifférentes en librairie. Les deux femmes nous ont concocté une ambiance étrange, hybride entre le manga et le comics et à l’inspiration croisée entre Dark Fantasy, Egypte antique et Art Déco.

Un curieux mélange dans lequel vient parfois s’ajouter quelque chose ressemblant vaguement à une touche de Steampunk, pour ce qui a été mon plus grand plaisir. Un livre-objet fort beau, honnête pour le prix proposé et dont la série se termine chez nous avec un total de six tomes (ce qui reste peu commun pour un comics). Parlons scénario à présent. On y suit Maika Demi-Loup, humaine qui comme son nom faisant référence à sa nature hybride l’indique, partage un héritage de sang avec ceux que l’on nomme les Anciens. Celles et ceux de son espèce que l’on nomme donc les Arcaniques évoluent dans un monde en tensions constantes entre guerres latentes et jeux politiques prenant place dans les hautes sphères. La jeune Maika abrite de plus en elle un monstre aux pouvoirs incommensurables, avec qui elle devra apprendre bon gré mal gré à cohabiter. Zinn, de son nom, ne se contentera de plus pas uniquement d’occuper ce rôle, mais deviendra rapidement un personnage à part entière du récit, avec par moments des aspects terriblement humains.

En quête de réponses sur la présence de cet indésirable, qui la poussera du reste à plusieurs reprises à faire preuve d’actes que l’on imputerait plus volontiers aux non-humains, elle sera rejointe dans son périple par une galerie de divers personnages, plutôt classiques dans la littérature du genre.

Ces derniers restent néanmoins attachants, et tout particulièrement la jeune Kipa, Arcanique mi-renarde, qui poussera Maika plus d’une fois à se réinterroger sur elle-même et sa condition de « monstre », par la présence de ce qui habite en son sein. Petit rayon de douceur, Kipa passe une bonne partie de son temps à questionner ce qui l’entoure, l’absurdité de la guerre, mais aussi ce qu’est le mal dans un monde somme toute très sombre et dur. Elle tranche et apporte un contrepoids positif d’avec Maika, héroïne de caractère, acariâtre et en apparence sans humanité.

Et le féminisme dans tout ça ?

J’y viens et j’y cours, Monstress est une série comme dit plus haut unique, qui tranche profondément avec les personnages usuels du comics. En ceci notamment qu’une bonne partie de la galerie de protagonistes est féminine d’une part, et que l’on a affaire à des femmes qui occupent naturellement des postes à haut commandement, ou encore qui savent manifestement fort bien se débrouiller sans l’aide de ces messieurs (sans pour autant que ces derniers ne soient relayés à des rôles de faire-valoir). On évite également les poncifs de l’héroïne profondément gentille, féminine et qui doit rester aimable pour son public de lectrices et lecteurs.
Son caractère et sa part sombre sont poussés à l’extrême, jusqu’à la rendre détestable et monstrueuse même par moments, ce qui est évidemment voulu. On aimera ou non, si de manière toute personnelle je n’ai pas pu ressentir d’empathie vis-à-vis de Maika, on ne peut à mon sens que saluer ce pas de côté pour proposer un personnage sortant avec une telle force des carcans habituels. Et il lui en faudra, de la force, pour survivre dans un monde où elle est tout sauf la bienvenue !

Verdict ?

Monstress est une œuvre toute en contrastes et fort originale, que l’on peut adorer comme détester. Si mes yeux prenaient pour la plupart des planches une claque visuelle, force est de constater que la qualité de ces dernières est fortement variable, trop peut-être. La qualité du scénario est malheureusement similaire, et a oscillé tout du long pour moi entre le complexe (les factions, rapports de forces entre nations, enjeux à l’échelle globale) et le définitivement trop brouillon. Néanmoins, je conclurai que la série vaut fortement le détour, pour qui veut prendre le temps de s’y investir.

Données techniques

Les points forts

  • Un univers original, mêlant plusieurs influences de genre (steampunk, japonisant, Dark Fantasy…)
  • Une héroïne qui sort (largement) des sentiers battus
  • Une galerie de personnages, et de relations complexes (notamment homosexuelles)
  • Belle qualité d’édition chez Delcourt

Les points faibles

  • Des planches de qualité très inégale
  • Un scénario complexe, mais parfois trop brouillon
  • Une héroïne (certes volontairement) détestable